Trois jours avant Noël 1944 (version française) J-P Churet

 

Au plus fort de la guerre, les Français loin de leurs familles ont pensé au Noël des petits Anglais malades.

 

 

Contexte Historique

 

Après la libération de l’Afrique du Nord par les Alliés, en 1943 le personnel de l’armée de l’air française libéré se rendit par bateau en Grande-Bretagne pour constituer des escadrons français au sein de la Royal Air Force.

 

Les deux groupes de bombardiers lourds français, avec plus de 2300 aviateurs, avaient formé les Squadrons 346 « Guyenne » et 347 « Tunisie » de la RAF à York, et avant le mois de décembre 1944 ils avaient participé au bombardement de positions allemandes en Normandie la veille du jour J, attaqué le cœur de l’industrie allemande lors de la bataille de la vallée de la Rhur et aidé à détruire, à travers le nord de l’Europe, les sites de fusées V1 qui avaient pilonné Londres.

 

Contrairement à d’autres forces aériennes étrangères qui volèrent au sein de la RAF, leurs bombardiers Halifax britanniques portaient des cocardes françaises, et à la base RAF, près de York, la langue courante était le français !

 

 

Les rues médiévales de York en 1934 – presque inchangées à ce jour.

 

Une histoire française de jouets

 

Cette histoire a commencé seulement trois jours avant Noël, le 22 décembre 1944.

 

Arrivé en train à la gare de York par un froid matin de décembre, le Sous-Lieutenant mécanicien André Lemarchand, chef de la section instruments, rentrait à sa base aérienne en périphérie de la ville.

 

 

Sous-Lieutenant André Lemarchand

 

 

En débarquant du train, André remarqua un grand arbre de Noël sur le quai de la gare qui avait été érigé par le London & North Eastern Railway (LNER) avec des boîtes de collecte pour les enfants locaux séjournant dans les trois hôpitaux de York.

 

 

 La gare de York – plaque tournante de la East Coast Main Line – avait déjà subi plusieurs bombardements.

 

 

Peu de marchandises de luxe pour les ménages étaient disponibles en Grande-Bretagne à cette époque, sans parler des articles pour enfants.

 

Avec le rationnement alimentaire dans toute la Grande-Bretagne, les produits de Noël furent engrangés pendant des mois à l’avance. Bien que certains aliments de base aient été légèrement augmentés, la viande surtout, en particulier comme la dinde, n’était pas disponible. Le traditionnel pudding ou gâteau de Noël devait être « enrichi » avec de la chapelure et des légumes comme la carotte. Le mot de l’époque était « faux ». Il y avait « la fausse crème », « la fausse oie », de nombreuses variétés d’aliments faits avec des ingrédients de substitution.

 

En 1941, pour conserver le papier, le gouvernement annonça : «  Aucun détaillant ne doit fournir de papier pour le conditionnement ou l’emballage des marchandises, à l’exception des denrées alimentaires ou des articles que le commerçant a accepté de livrer ». Rien que pour cela, il était assez difficile de garder les cadeaux de Noël secrets !

 

Quant aux jouets pour enfants, toute la production disponible était concentrée sur l’effort de guerre, et après quatre ans et demi de guerre et les privations causées par les énormes pertes de fret engendrées par les U-Boats dans l’Atlantique, il n’y avait pratiquement rien pour réjouir les enfants, en particulier ceux qui étaient hospitalisés.

 

C’était juste 3 jours avant Noël – mais André avait un plan!

 

André voulait faire quelque chose de différent et il eut l’idée d’utiliser les compétences de son service de mécanique d’avion et des ateliers pour fabriquer des jouets pour enfants, alors il alla voir son patron le Commandant François Churet, chef des moyens techniques de la base.

 

 

Commandant François Churet (au centre) – York 1944

 

 

Le Commandant Churet était chargé de s’assurer que les 40 énormes bombardiers quadrimoteurs Halifax soient prêts à passer à l’action à tout moment. Il disposait de 880 mécaniciens et était responsable de chaque partie de chaque avion : fuselages, moteurs, bombes, carburant, parachutes, électronique et équipements de toutes sortes.

 

 

 

Halifax Mk III, 347 “Tunisie”, ravitaillement en carburant avant une mission – 1944

 

 

La plupart des réparations et des pièces étaient faites sur place et ils devaient travailler jour et nuit 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour que les deux escadrons continuent de voler alors que la guerre en Europe atteignait une période critique.

 

 

 

Les bombardiers Halifax rentraient de missions avec des dommages qui devaient être rapidement réparés

 

 

Le projet des jouets de Noël eut lieu au plus fort de la guerre aérienne, au moment où le taux d’aviateurs français et britanniques tués était de 51% – taux de pertes le plus élevé de toutes les unités militaires alliées ou de l’Axe pendant la guerre, plus élevé que ceux de l’horrible guerre de tranchées de la Première Guerre mondiale.

 

 

Les mécaniciens étaient responsables du travail très dangereux d’équiper les avions de leurs bombes – quelque soit le temps !

 

 

Malgré l’énorme charge de travail et la pression sur ses hommes, le Commandant Churet et le commandant de base, le Colonel Bailly, acceptèrent et André demanda des volontaires parmi ses hommes.

Immédiatement les mécaniciens et ingénieurs français se lancèrent dans cette entreprise et un petit atelier fut mis en place, avec pour ordres stricts de ne pas entraver les réparations d’avions, de fabriquer les jouets en dehors de leur temps de travail et de n’utiliser que des matériaux de rebut.


Ils avaient moins de 3 jours avant Noël !

 

 

 La « ligne de production des jouets ». Travaux en cours dans les cabanes en tôle chauffées uniquement par un poêle à bois.

 

 

Une ligne de production fut bientôt mise en place.  Les Français trouvèrent des façons très créatives de fabriquer des jouets fonctionnels avec un large éventail d’idées comme des maquettes de trains; jeeps; scooters; pantins; berceaux; poupées cow-boys; avions; bateaux; maisons de poupées; jeux; chaises pour bébés; cuisines; tambours; tableaux noirs et chevalets; brouettes; camions miltaires et outils de jardin.

 

 

Le paquebot « France »

 

 

L’enthousiasme des aviateurs était tel qu’un concours devint bientôt nécessaire et que des prix devaient être décernés pour les meilleurs jouets. Un « jury » fut présidé par le Commandant Churet, avec pour premier prix une bouteille de whisky allant à l’énorme maquette très détaillée du paquebot France – qui pouvait flotter.

 

 

Fabriquée à partir d’une plaque de métal battu, la chambre à coucher de poupées avec des lumières fonctionnant.

 

Le deuxième prix, une bouteille de Gin, alla à « La Rose d’Alsace », une maquette de chambre d’enfant avec un poêle et éclairage à piles.

 

 

La maquette de cuisine

 

 

 

Une large gamme de jouets – notez le symbole “Croix de Lorraine” sur de nombreuses maquettes.

 

 

À midi la veille de Noël, ils furent tous chargés sur l’un des camions de la base et, avec l’autorisation préalable, conduits au célèbre Hôtel de Ville du 18e siècle, la résidence du très honorable Lord Maire de York, le Conseiller H.C. de Burgh.

 

 

 

Les aviateurs français livrent les jouets à l’Hôtel de Ville – Résidence du Lord Maire de York – 24 décembre 1944 – (centre: Emile Mechaly)

 

 

Le Lord Maire, son épouse, et les représentants officiels, dont le Shériff de York, M. J.H. Kaye, accueillirent le Commandant Churet et les aviateurs français. Les jouets furent ensuite déchargés dans la salle d’apparat de l’Hôtel de Ville qui, comme le fit remarquer un responsable, « ressemblait soudainement à un magasin de jouets ». Là, ils furent exposés au public avant d’être remis le jour de Noël aux enfants qui furent absolument ravis !  Beaucoup n’avaient jamais eu de tels cadeaux de leur vie.

 

 

Des jeux colorés et attrayants furent fabriqués – beaucoup d’origine française. 

 

 

Le 1er janvier 1945, le colonel Bailly écrivit au siège provisoire du gouvernement français à Carlton Gardens, à Londres, en expliquant le travail de ses mécaniciens pour apporter un peu de bonheur aux petits Anglais hospitalisés. Il termina sa lettre ainsi :

« J’ai tenu à porter ces faits à votre connaissance parce qu’ils sont une excellente preuve du bon esprit et du bon coeur du personnel, et font honneur au bon gout et à l’esprit d’initiative et de débrouillardise des mécaniciens français».

 

 

 

 

 

Bon nombre d’aviateurs français n’avaient pas vu leurs propres enfants et familles depuis plus de 4 ans. Certains avaient reçu peu de nouvelles et ne savaient même pas comment leurs proches s’en étaient sortis dans la France occupée.

À ce moment-là, plus de 200 de leurs camarades d’équipages avaient été tués au cours des six derniers mois seulement et ne reviendraient pas.

La nature généreuse et l’engagement des mécaniciens et techniciens français faisant preuve de cette extraordinaire gentillesse envers ces petits Britanniques est une histoire anglo/française dont nous devrions continuer à nous souvenir.

 

 

 

Extrait du York Herald – 27 décembre 1944

 

POST SCRIPTUM

 

Décembre 2014 – Au même endroit, exactement 70 ans plus tard, le très honorable Lord Maire de York, le Conseiller Ian Gillies, le Shériff de York, M. John Kenney et le directeur de l’AFHG Ian Reed, ont recréé la célèbre histoire lorsque plus de 200 cadeaux du Musée du Yorkshire ont été livrés à l’Hôtel de Ville de York pour les enfants hospitalisés.

 

Décembre 2014 – « Elfes de Noël » du service pour enfants de l’Hôpital de York et de l’Hospice pour enfants Martin House à York, avec : (de gauche à droite) Ian Reed, directeur de l’AFHG; John Kenny, Shériff de York et Cllr Ian Gillies, Lord Maire de York, à l’extérieur de l’Hôtel de Ville, en souvenir de la présentation des jouets français exactement 70 ans plus tôt.

 

 

08.12.2020

Traduction par Geneviève Monneris

 

 

 

 

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