Amoureux de la Résistance – Rosie Whitehouse

Amoureux de la Résistance – La guerre de ma belle-mère.

 

 

Marion Müller

 

Par une nuit de pleine lune en mars 1944, trois agents descendirent en parachute sur les hauts plateaux du Languedoc à l’est de Castres, dans le sud de la France.

 

(Version in English click here:  https://afheritage.org/in-love-with-the-resistance-by-rosie-whitehouse)

 

L’un était Pierre Haymann, un Juif parisien formé au sabotage et à la guerre des partisans au Royaume-Uni. L’autre était Bernard Schlumberger, un protestant alsacien, qui devait être l’émissaire des Forces Françaises Libres dans la région de Toulouse dans le sud-ouest de la France.

 

Leur mission était de réunir les milices locales de la résistance dispersées derrière le Général Charles de Gaulle, chef de la France Libre, à partir d’une base située dans la petite ville de Vabre où la protection des partisans locaux leur était garantie.

 

 

 

Mission “PAUL-9” – Charles Bernard Schlumberger, Pierre Haymann et Michel Couvreur tombèrent sur la zone de largage “Chénier” à Saint-Saury (frontière Cantal/Lot), 18 mars 1944.  Objectif – Schlumberger devient responsable (Délégué Militaire Régional) du R4 Lot et Garonne / Hautes Pyrénées.

 

 

Mais avant de commencer à travailler, Pierre parcourut 400 km jusqu’à Lyon pour retrouver sa petite amie, Marion Müller, de laquelle il avait été séparé 15 mois plus tôt.

 

C’était un voyage risqué car les SS de cette ville le connaissaient bien. Marion et Pierre étaient tous deux membres de la Résistance et, en 1942, Pierre avait été capturé et emmené dans le tristement célèbre Hôtel Terminus où le commandant SS Klaus Barbie – le “boucher de Lyon” – torturait ses victimes.

 

 

Hôtel Terminus, Lyon – 1941

 

Pierre réussit à s’échapper mais n’eut d’autre choix que de s’enfuir en Espagne par les Pyrénées en plein hiver.

 

Lorsqu’ils se retrouvèrent en 1944, Marion teignit les cheveux de Pierre en roux pour tenter de le dissimuler, mais la police paramilitaire le retrouva rapidement. Il y eut une fusillade au cours de laquelle Pierre fut blessé, puis le couple se réfugia à Vabre.

 

 

Vabre – Département du Tarn de la Région Occitanie dans le Sud de la France (1930)

 

Aujourd’hui :

 

Michel Cals, un professeur à la retraite, m’emmène sur un chemin sans issue qui mène à travers la forêt à l’ancien quartier général de Schlumberger, en dehors de la ville. Nous passons devant une jolie ferme où 30 jeunes filles juives furent cachées par le pasteur protestant local avant d’être introduites clandestinement en Suisse. Puis nous apercevons une grande maison en pierre, située au sommet d’une colline.

 

Le chemin était gardé aux points clés par les partisans du maquis, selon le mot désignant la garrigue du sud où de nombreux groupes de ce type opéraient.

 

À côté de la maison se trouve un vaste champ offrant une vue imprenable sur la vallée. C’était idéal pour les parachutages. Je peux imaginer Pierre et Marion courant dans le champ au clair de lune pour rassembler les explosifs, les armes et l’argent qui alimentaient leur combat contre les Nazis.

 

Cals explique que la vallée ressemblait à une forteresse. “Les Allemands étaient basés dans les villes voisines d’Albi et de Castres mais ne disposaient que des ressources nécessaires pour envoyer des patrouilles dans la vallée”.

 

 

Carte des régions et démarcation 1943

 

 

Il était également parfaitement situé, accessible aux avions à la fois depuis le Royaume-Uni et l’Algérie où le Général de Gaulle avait alors son quartier général.

 

Jusqu’à récemment on savait peu de choses sur les expériences de guerre de Marion. Elle était ma belle-mère mais balayait toutes les questions d’un revers de main. Elle décéda en 2010 sans avoir raconté son histoire.

 

La seule scène qu’elle décrivit fut le moment où elle teignit les cheveux de Pierre – elle nous raconta comment elle plaisantait en le faisant et en disant que, s’ils avaient un enfant, il aurait aussi les cheveux roux.

L’année dernière, Huguette, la jeune sœur de Marion, a révélé comment Marion l’avait emmenée se cacher dans la station de ski de Val d’Isère après que leur mère, Edith, ait été arrêtée en 1943 et envoyée dans les chambres à gaz d’Auschwitz.

 

Là, dans les Hautes-Alpes, Huguette, âgée de 15 ans, se cassa la jambe et fut soignée par un brave médecin français qui la cacha pendant six mois dans sa maison en secret.

 

 

 

La maison du Dr Frédéric Pétri à Val d’Isère.

 

Pour en savoir plus sur cette période de la vie de Marion, je me suis rendue aux Archives nationales de Kew, à l’ouest de Londres, pour lire les papiers jaunis d’un dossier autrefois top secret sur Pierre, qui a été formé comme saboteur par le service britannique du Special Operations Executive. C’est ce qui m’a conduite à Vabre – où Michel Cals et d’autres ont expliqué comment une coalition antinazie inhabituelle avait été forgée.

 

Ce n’était pas un hasard si Schlumberger, un protestant, avait été associé à Pierre, un Juif. Vabre était un village protestant avec un maquis protestant. Mais les collines qui entourent la ville étaient la base d’une milice armée exclusivement juive, connue sous le nom de Compagnie Marc Haguenau. Schlumberger et Pierre fusionnèrent ces groupes.

 

 

Le quartier général de Bernard Schlumberger dans la forêt.

 

Marion a toujours dit que les habitants de la France rurale avaient l’esprit insulaire et n’aimaient pas ceux qui n’étaient pas de leur région – ils voulaient que les Juifs tout comme les Allemands s’en aillent. Mais Vabre, une ville de pierre grise sur les rives de la rivière Gijou était différente.

 

C’était une communauté soudée, unie derrière son pasteur Robert Cook dans son opposition au régime de Vichy – le gouvernement français du Maréchal Pétain qui collaborait avec les envahisseurs allemands – et qui était loin d’avoir l’esprit insulaire.

 

Ville industrielle, Vabre vivait du tissage d’étoffes qu’elle vendait aux tailleurs juifs de Paris. En juillet 1942, après l’arrestation massive des Juifs dans la capitale, de nombreux tailleurs arrivèrent avec leurs familles pour y trouver refuge.

 

En bordure de la ville se trouve un grand bâtiment appelé la caserne. C’est ici que les soldats de Louis XIV furent logés pendant la persécution des huguenots protestants – ancêtres de la population actuelle – au XVIIe siècle.

 

Les Vabrais n’avaient pas oublié comment l’Etat avait maltraité leurs ancêtres et firent tout leur possible pour aider les Juifs fugitifs, surtout après l’événemment survenu au cours de l’été 1942, lorsque Vichy  également commença à rassembler des Juifs pour les livrer aux Allemands.

 

Le 26 août, la police de Vabre reçut l’ordre de se rendre à Lacaune, station balnéaire voisine, pour arrêter les Juifs d’origine étrangère qui y furent internés. Quatre-vingt-dix personnes furent arrêtées, dont 22 enfants, toutes assassinées à Auschwitz.

 

Les gendarmes de Vabre rentrèrent chez eux en larmes, et le chef de la police Hubert Landes décida que c’était la dernière fois que lui et ses hommes suivraient ce type d’ordre. Un an plus tard, il avertit les réfugiés juifs de l’imminence d’une rafle nocturne, les exhortant à se cacher.

 

De nombreux Juifs survivants de la région rejoignirent le maquis.

 

 

Des avions alliés larguent du matériel pour le maquis (1944)

(source de l’image – Getty Images)

 

Michel Cals a ouvert à Vabre un petit musée consacré à la Résistance. Il abrite non seulement le poste de radio de Schlumberger sur lequel les ordres de Pierre étaient reçus, mais aussi une masse de documents de l’époque et des témoignages d’hommes ayant combattu dans le maquis. Dans le registre du maquis, les noms des hommes de la région sont mélangés avec ceux des Juifs nés à Paris, en Alsace et en Europe de l’Est. C’est la preuve d’une remarquable unité.

 

Les documents révèlent également que la stratégie de Schlumberger, le sabotage des chemins de fer, mettait Pierre en position centrale. Pierre était chargé d’entraîner la Compagnie Marc Haguenau à faire sauter les trains, ce qu’il fit tout au long du printemps 1944. En juin cependant, immédiatement après le Jour J, il fut envoyé pour former des maquis plus au nord.

 

Marion et lui s’installèrent à Cahors où ils affrontèrent un ennemi redoutable fraîchement débarqué du front russe – la deuxième division Panzer SS, connue sous le nom de Das Reich – qui se déplaçait vers le nord pour soutenir l’armée allemande en Normandie. Mais les sabotages effectués dans cette région connurent un prix élevé ; par vengeance, Das Reich massacra 642 villageois, dont 205 enfants, à Oradour sur Glane.  (https://afheritage.org/the-man-with-the-white-handkerchief-caroline-broch)

 

L’entraînement de Pierre aida également le maquis de Vabre à mener une attaque spectaculaire contre un train de ravitaillement allemand se dirigeant vers Castres le 19 août 1944. Au cours de cette violente fusillade, la Compagnie Marc Haguenau subit de lourdes pertes avant que les Allemands ne finissent par capituler. Les maquisards demandèrent à leurs prisonniers allemands : “Savez-vous qui nous sommes ?”. Ils furent choqués lorsque chacun de leurs geôliers annonça en allemand : “Ich bin ein Jude !” – “Je suis un Juif !”

 

 

Castres, août 1944 : Des membres du Maquis de Vabre arrivent sur un camion.

(source de l’image : Alamy)

 

 

Les mêmes hommes participèrent ensuite à la libération de Castres, faisant 3 500 prisonniers allemands supplémentaires.

 

Marion avait 20 ans lorsqu’elle rencontra Pierre en 1940 – lui en avait 25. En tant que soldat de l’armée française, Pierre avait été détenu dans un camp de prisonniers de guerre, mais il s’était échappé, avait traversé la ligne de démarcation dans la France de Vichy et était arrivé à Lyon.

 

Le réseau de résistance qu’ils ont aidé à construire là-bas fut l’un des premiers à s’engager dans l’action militaire.

 

Lorsque Pierre entreprit son périple hivernal à travers les Pyrénées jusqu’en Espagne, Marion ne l’accompagna pas car elle craignait de ne pas y arriver. Cependant cela signifie qu’elle affronta seule les mois les plus dangereux de sa vie.

 

 

Les faux papiers de Marion, au nom de Juliette Giraud

 

Il est probable qu’elle fut souvent seule à Vabre aussi, vu que Pierre passait beaucoup de temps au maquis.

 

Après leur arrivée à Cahors, elle l’échappa belle quand un barman dit aux Allemands qu’elle était suspecte. Elle se sépara donc à nouveau de Pierre pour retourner à Val d’Isère et retrouver Huguette.

 

Une fois encore, elle se retrouva seule et en danger. À un moment donné pendant le voyage, des soldats allemands proposèrent à Marion de la raccompagner. Elle refusa sagement. Plus tard, elle découvrit que les SS enlevaient des jeunes filles, les violaient et les jetaient ensuite dans un ravin depuis les murs d’un château voisin.

 

Les deux sœurs arrivèrent à Toulouse juste avant la libération de la ville les 19 et 20 août 1944.

 

Maintenant enceinte et épuisée, Marion fut obligée de se reposer avant que Pierre et elle puissent se rendre à Paris. Cela signifie qu’ils manquèrent l’occasion de se voir attribuer le meilleur des appartements d’anciens collaborateurs donnés aux chefs de la Résistance. Cela l’irrita toute sa vie qu’ils soient arrivés trop tard pour un appartement au Champs de Mars avec vue directe sur la Tour Eiffel.

 

Cet automne-là, Pierre et Marion se marièrent. Peu après, Marion donna naissance à une fille – qui, comme elle l’avait prédit, eut les cheveux roux. Ils eurent un deuxième enfant, un fils, mais le mariage ne dura pas. Marion a toujours dit qu’ils étaient simplement trop jeunes, mais peut-être avaient-ils passé trop de temps séparés pour construire une vie ensemble.

 

 

Marion Müller

 

Marion  finalement se remaria, partit vivre à Londres et eut un troisième enfant qui est maintenant mon mari.

 

La Seconde Guerre mondiale divisa la France et après la libération la plupart des gens choisit de ne pas parler des années de guerre de peur d’ouvrir de vieilles blessures.

 

À Val d’Isère où Huguette se réfugia avec sa jambe cassée, le silence continue aujourd’hui.

 

À Vabre, les choses pourtant sont bien différentes. Dès le premier anniversaire de la Libération, les habitants célébrèrent l’histoire de la lutte des protestants et des Juifs contre les Nazis.

 

Michel Cals pense que l’histoire unique de Vabre mérite qu’on en parle plus largement. “C’est une leçon de morale et de nécessité d’aider ceux qui sont dans le besoin”, dit-il.

 

 

Michel Cals, à côté d’un mémorial aux membres du maquis tombés au combat.

 

Grâce à son travail, Yad Vashem (Institut international pour la mémoire de la Shoah) a reconnu Vabre comme Ville des Justes en 2015, et ce mois-ci, le chef de la police Hubert Landes rejoindra le pasteur Robert Cook sur la liste des Justes.

 

 

La plaque

 

L’esprit de résistance de Vabre a laissé des traces en France. Catherine Vieu-Charier est née et a grandi à Vabre. Au moment où elle est entrée dans le café, j’ai été frappé par le tatouage en hébreu sur son poignet. C’est le nom de son défunt compagnon, Henri Malberg, un homme politique parisien bien connu. En 1942, lui et sa famille avaient échappé à la capture lors de la fameuse rafle du Vel’ d’Hiv (Vélodrome d’Hiver) à Paris, mais ils furent plus tard internés par le gouvernement de Vichy.

 

En 1995, Vieu-Charier et Malberg, tous deux militants communistes, ont lancé une campagne visant à identifier et à commémorer les enfants juifs déportés de Paris en apposant des plaques sur les écoles de la ville. Cette idée s’est rapidement répandue dans toute la France. L’une de ces plaques se trouve sur l’ancienne école d’Huguette à Nice et commémore 16 de ses camarades de classe gazés à Auschwitz.

 

Vieu-Charier et Cals craignent que l’histoire de la Résistance civile à Vabre soit oubliée et s’efforcent de faire en sorte qu’elle prenne sa place à côté de la célébration de ce que Cals appelle “l’histoire testostéronée des hommes avec des armes”. Leurs deux familles ont caché des Juifs mais n’en ont jamais parlé car elles considéraient que c’était leur devoir humanitaire, dit Cals. “Ils ne s’en sont jamais vantés et ont simplement continué à vivre leur vie”.

 

Leur travail a déjà commencé à porter ses fruits. Cals a été à l’avant-garde d’une campagne visant à accueillir des réfugiés syriens à Vabre. Juste avant le confinement du Covid-19 en 2020, la première famille syrienne est arrivée. Deux autres ont suivi depuis. Le message est qu’il ne suffit pas de permettre à des étrangers de rester dans le village, mais qu’ils doivent être acceptés d’égal à égal et intégrés à la vie locale.

 

Le registre original du maquis, où figurent pêle-mêle les noms des protestants et des Juifs, en est la preuve.

 

Rosie Whitehouse est l’auteur de “The People on the Beach : Journeys to Freedom After the Holocaust

AFHG traduction française : Geneviève Monneris

produit : Ian Reed

 

2 Comments

  1. Philippe Ducastelle on February 4, 2022 at 3:01 pm

    Bravo Geneviève et Ian
    Une belle traduction en souvenir de la Résistance.
    Philippe

  2. Peter Ricketts on February 4, 2022 at 4:51 pm

    Merci de cette histoire émouvante qui met en valeur avec tellement de clarté le courage et l’humanité des résistants et tous ceux et celles qui les ont soutenus. Et des photos extraordinaires!

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