Ce mois de mars, alors que la peur était encore là….. Kateryna Ziborova

Nous n’avons aucune idée de ce que signifie la peur réelle…..une jeune mère de Kyiv explique….”

 

Introduction

 

Près d’un an s’est écoulé depuis le début de la guerre à grande échelle contre l’Ukraine, et depuis, le monde regarde et admire la détermination, l’ingéniosité et le courage de son peuple. Mais au fil des mois et des nouvelles quotidiennes de bombardements contre les civils, la répétition constante a peut-être un peu brouillé les contours, nous autres ne pouvant pas véritablement ressentir l’impact personnel que cela a eu sur des êtres humains ordinaires et intelligents, arrachés à leur démocratie occidentale moderne et plongés dans une lutte pour une survie presque médiévale. Dans le prolongement de sa judicieuse série “Lettres de Kyiv”, une jeune mère et écrivaine ukrainienne, Kateryna Ziborova, revient sur le choc initial et la peur qu’ils ont tous ressentis lorsque leurs vies ont basculé le 24 février 2022.

AFHG/GPFA

 

 

 


Ce mois de mars, alors que la peur était encore là

par Kateryna Ziborova

 

Pendant très longtemps, je n’ai pas pu écrire ce texte. Bien sûr, les raids aériens, les coupures de courant incessantes et le rhume classique que l’enfant a rapporté du jardin d’enfants au réveillon du Nouvel An s’en sont mêlés. Ils ont interféré, mais la vérité est que la rédaction de ce texte a surtout été entravée par la peur. Pas la peur elle-même, mais les souvenirs de la peur. Le mois de mars 2022 fut le mois où la peur était encore présente.

 

Voyez-vous, durant les cinq derniers jours de février, je n’arrivais pas encore à comprendre pleinement et croire à ce qui était en train de se passer. La guerre durait depuis 2014, mais c’était loin. C’était comme si ce n’était pas tout à fait réel, et puis c’est arrivé juste à ma porte.

 

C’est une très grande différence quand une roquette arrive à 300 ou 3 kilomètres de vous. Mon mari est resté pour défendre notre ville, et ma fille et moi sommes parties, mais je ne pouvais toujours pas croire à ce qui était en train de se passer.

 

Je me souviens des derniers jours de février, alors que j’attendais que mon frère nous emmène, moi et mon enfant, dans un endroit sûr.

 

Ma fille de 5 ans, entièrement habillée, portant une veste et des bottes, était assise dans la baignoire, recouverte de serviettes en cas d’explosions et dans l’éventualité où des carreaux des murs la blessent avec des éclats d’obus. J’étais accroupie à côté d’elle, lui caressant la tête et frémissant quand j’entendais des explosions.

 

Ensuite j’ai le vif souvenir du moment où nous avons traversé la ville en voiture et vu des hommes se rendre aux bureaux de recrutement. Des jeunes gars excités d’à peine 18 ans, des trentenaires nerveux, des quadragénaires sacrément calmes, des quinquagénaires concentrés et des sexagénaires aux regards glacés. Beaucoup d’hommes. En tenue de sport et de camouflage, avec des petits sacs à dos, nombreux déjà avec des armes derrière l’épaule.

 

Un autre souvenir – mon frère et moi debout la nuit sur le seuil de la vieille maison de ma défunte grand-mère, en train de regarder les éclairs des explosions au loin et nous disant que nous ne pouvons pas y croire.

 

Et encore un – j’enseigne à ma fille et mes nièces comment se jeter à terre et se couvrir la tête avec les mains lorsqu’elles entendent des explosions ou des tirs.

 

Si vous n’avez pas été obligé d’apprendre à votre enfant de 5 ans comment se protéger la tête lorsque des missiles volent, ou de lui dire ce qu’il faut faire “si maman ne peut pas t’accompagner”, comment elle devra alors sortir seule et chercher des soldats amis en reconnaissant les motifs de camouflage ukrainiens, britanniques ou américains, et se cacher de ceux qui portent des uniformes russes à motifs “dubok”…..alors vous ne pouvez pas comprendre pourquoi je veux une mort effroyable pour tous les russes.

 

C’était toujours février 2022. Vous savez, on dit souvent que notre mois de février n’est pas terminé, ça fait plus de 300 jours en Ukraine depuis février 2022. Mais après février, il y a eu mars. Et avec mars, la peur est arrivée.

 

La vieille maison de ma grand-mère, où l’eau et le chauffage sont soudainement coupés juste quand ils le veulent. Où il est impossible d’enlever tout le poison des souris qui a recouvert le sol quand la maison était vide. Où les communications par téléphone portable ne passent pas. Où les voisins les plus proches se trouvent à un kilomètre – mais il y en a très peu – le vieux village est en train de disparaître.

 

Et là, derrière la forêt, se trouve l’aéroport. L’aéroport où les russes essayent d’atterrir depuis le mois dernier. Où ils tirent tous les jours, et où au-dessus, la nuit, il y a des explosions. Où il y a constamment une horrible odeur de brûlé.

 

Dans la journée, ce n’est pas si effrayant. Il y a toujours quelque chose à faire, et il faut aussi garder un oeil sur une enfant de la ville hyperactive qui s’est échappée vers un espace libre avec des poulets, dindes, chats, chiens, lapins et autres animaux domestiques, et qui interagit avec eux de toutes les manières possibles. Dans la journée, même les explosions lointaines ne sont pas si effrayantes.

 

Puis le soir venu, l’enfant se met à pleurer parce que son papa lui manque et qu’on l’a emmenée loin de sa chambre rose avec ses poupées dans une vieille maison au milieu de nulle part, où il n’y a pas d’autres enfants, seulement sa mère, ses grands-mères et des animaux. Et elle veut rentrer à la maison et voir son papa. Et lorsque vous la calmez enfin et vous allongez à côté d’elle, la nuit arrive et la peur avec. Parce que vous avez terriblement peur pour ces proches et amis qui sont restés en ville. Parce que votre mari vous manque aussi éperdument, vous êtes fière de lui et vous craignez pour lui. Parce que c’est extrêmement terrifiant quand le système de défense aérienne fonctionne. C’est formidable qu’il fonctionne, cela signifie que les missiles ennemis ne tomberont pas sur votre tête et celles de votre famille, mais c’est absolument affreux quand il fonctionne près de vous. C’est absolument terrifiant quand vous entendez à nouveau les bruits de tirs et de feu au-dessus de l’aéroport.

 

Cela fait extrêmement peur quand l’alarme de raid aérien retentit sur votre téléphone. Mais le plus effrayant, ce sont les avions de chasse survolant le toit de la vieille maison. Vous comprenez que ce sont les nôtres et vous réalisez qu’ils vous protègent, mais la peur vous envahit.

 

Les deux premières semaines, j’ai dormi tout habillée et j’ai couché ma fille de la même façon, enlevant seulement nos bottes et notre veste. Mais je la tenais d’une main et la sangle du “sac à dos d’alerte” de l’autre. Pour pouvoir instantanément l’attraper et courir. Je n’ai pas défait le sac à dos et j’étais prête à courir avec ma fille à tout moment.

 

Ma mère, mes tantes et moi avons regardé les informations avec horreur et tourné en rond autour de ma fille. Nous avons écouté et lu ce qui se passait à Bucha et Irpin et nous sommes fait des cheveux blancs à force d’écouter et de lire.

 

J’étais tout le temps terrifiée. Tout ce terrible mois de mars. Et puis la peur a disparu. Vous savez, peut-être que tous ceux qui ont vécu ce mois de mars en Ukraine ne savent tout simplement plus comment avoir peur, parce que même la peur a une certaine limite, et puis la peur est partie.

 

Je me cache toujours avec ma fille dans un “coin sûr” au son d’un raid aérien, je garde toujours mon “sac à dos d’alerte” fait, et je suis constamment sur le qui-vive. Mais je ne peux plus être dans la peur. Parce que ce mois de mars, quand la peur était encore là, il y en avait trop. Elle est passée au-dessus de moi et à travers moi. Et la peur a disparu. Il ne reste plus que moi.

Слава Україні !!!

 

Kateryna Ziborova – Janvier 2023

Note:

1. nous n’utilisons pas l’orthographe russe Kiev. nous utilisons l’orthographe ukrainienne : Kyiv.

2- Je tiens à souligner que j’écris délibérément « russie » et « russes » avec un petit « r » et j’insiste sur ce point car il ne peut y avoir de respect pour un pays terroriste.

 

FIN

 

 

Traduction française : Geneviève Monneris

traduction anglais ici

 

Leave a Comment